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Alan Friedman : « L’Amérique est en déclin, et l’Europe se trouve à un tournant décisif »

L’auteur et journaliste américain, Alan Friedman, était le dernier invité des conférences de la Monaco Méditerrannée Foundation (MMF) en 2024 (1).

Alan Friedman intervistato da Clement Martinet per Monaco Hebdo

Il y a dépeint une puissance américaine en déclin, bouleversant l’ordre mondial établi jusqu’alors. Il raconte à Monaco Hebdo.

Votre ouvrage s’intitule La fin de l’empire américain, bienvenue dans le nouveau désordre mondial(2) : faut-il y voir une référence à la « dédollarisation » du monde ?

Pas vraiment. Le dollar n’est pas le cœur de mon raisonnement. Ce que je mets en avant, c’est que les États-Unis ne sont plus les leaders incontestés du monde. Les conditions internationales changent de paradigme, et il faut l’accepter. Ce déclin n’est pas dû à Donald Trump, qui est davantage une manifestation du problème. Tout a commencé il y a au moins vingt ans.

Que voulez-vous dire par là ?

L’idée selon laquelle les Américains défendent les valeurs démocratiques dans le monde est trompeuse. Nous avons commis de grandes erreurs dans la gestion du pouvoir militaire, économique et politique dont nous avons hérité après la Seconde Guerre mondiale. Après la chute du mur de Berlin en 1989, la Maison-Blanche n’a pas su définir une vision stratégique. Bush père (1924-2018) n’était pas un visionnaire. Clinton a embrassé la globalisation sans en anticiper les disparités, notamment salariales. Puis Bush fils, avec ses deux guerres désastreuses en Irak et en Afghanistan, a poussé l’impérialisme à l’excès, entraînant d’énormes pertes humaines. Obama, quant à lui, a faibli sur des dossiers comme les printemps arabes et la Libye.

Et Donald Trump ?

Trump a déconstruit le système multilatéral, quittant des accords cruciaux comme celui de Paris sur le climat. Son mépris pour l’OTAN, et sa proximité avec des figures comme Poutine, sont alarmants. Aujourd’hui, Biden n’a pas su limiter la guerre à Gaza, ni gérer efficacement l’aide à l’Ukraine. Cela s’ajoute aux humiliations des dernières décennies, comme la débâcle de Kaboul ou l’invasion russe en Ukraine.

Vous parlez d’arrogance et d’hypocrisie : quelles sont, selon vous, les conséquences pour l’Amérique ?

L’arrogance américaine, combinée à un sentiment de supériorité morale, a conduit à des erreurs stratégiques majeures. Aujourd’hui, le retour de Trump au pouvoir représente un réel danger pour l’Amérique et l’Occident. Il est isolationniste, et méprise l’État de droit. Sous sa gouvernance, les États-Unis risquent de devenir une démocratie illibérale, à l’image de la Hongrie d’Orbán.

Et le rôle de certains gros entrepreneurs, comme Elon Musk ?

Trump et Musk s’opposent à toute régulation, favorisant un laisser-faire économique nuisible. Pour l’Europe, il ne s’agit pas seulement de droits de douane, mais d’un affrontement sur les valeurs occidentales.

Le dollar reste-t-il une force dominante ?

Le dollar reste une valeur refuge, mais le crépuscule approche. La Chine surpassera l’économie américaine vers 2040 ou 2050 et deviendra un rival militaire. Le monde évolue vers un modèle multipolaire, où le « sud global » ne veut plus se plier aux diktats américains.

Quelle est votre vision du futur ordre mondial ?

Ce n’est pas une simple bipolarité entre les États-Unis et la Chine, mais une période de transformations et d’incertitudes. Les règles internationales s’effacent, laissant place à la loi de la jungle. Cela rappelle les années 1930 en Europe, avec des tensions exacerbées.

Face à ces bouleversements, que doit faire l’Europe ?

L’Europe doit se réveiller. Elle ne peut plus compter sur Washington pour sa défense. Soit elle s’unit et investit dans une politique étrangère cohérente, soit elle reste vulnérable face à des figures comme Poutine, soutenues par le retour de Trump.

Mais les dettes publiques limitent les marges de manœuvre : comment surmonter cet obstacle ?

Ce n’est pas seulement une question économique, mais de volonté politique. Les 27 doivent s’unir pour créer une défense européenne autonome. Sinon, Poutine continuera à étendre son influence en Serbie, en Géorgie, en Transnistrie, et même en Afrique.

Vous semblez très critique envers votre pays ?

Les États-Unis sont en crise existentielle, avec une société profondément divisée. Une part importante des Américains estime que la violence est légitime pour défendre leurs idées. Le retour de Trump au pouvoir sera un accélérateur du déclin américain, avec des répercussions graves pour l’Europe. Washington ne sera plus là pour protéger les Européens, et il est temps de l’accepter. L’Amérique est en déclin et l’Europe se trouve à un tournant décisif.

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